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Tribune du Professeur Émile Bongeli :« (Auto)critique d’une classe politique face à la crise »

Choix de la rédaction

Le pays subit à l’instant une des plus sombres menaces contre sa fragile stabilité institutionnelle. Notamment, toutes les conditions sont réunies pour le clash au sein de la coalition au pouvoir FCC/CACH qui, après avoir suscité tant d’espoir pour avoir opéré la première passation démocratique du pouvoir à l’opposition, à l’issue des scrutins électoraux, a vite révélé son caractère éphémère.

Chaque camp intéressé accuse l’autre d’être à la base d’irréversibles malentendus et chacun, croyant atteint le point de non retour, réchauffe ses biceps pour le round final, celui de la mise hors ligne de l’adversaire. En pareille circonstance, l’appel à la raison d’un intellectuel impliqué est certes inutile, ridicule, inaudible, réactionnaire. Au demeurant, le camp auquel j’appartiens (FCC) me traitera de poltron, lâche, colombe, à la limite de la traitrise. Je vois l’autre camp (CACH) me mépriser tout simplement, en me traitant de spéculateur qui vise à les empêcher de remporter la victoire finale sur un allié encombrant dans une coalition contre nature.

Je remplis néanmoins mon devoir de penseur, guidé par ma seule conscience subjective et mes convictions intimes d’un intellectuel intéressé, voire impliqué dans la défense des intérêts d’un pays au bord d’un naufrage pourtant évitable. En effet, mon analyse de l’histoire postcoloniale congolaise me renseigne que ce pays a toujours été sauvé, de justesse et à plusieurs reprises, par la sagesse des uns et des autres des protagonistes et pas par la force ou l’arrogance des uns contre les autres. Et que la realpolitik a toujours eu raison des juridismes spéculatifs, quelques fois déroutants et porteurs des germes de conflictualité.

Aujourd’hui, la vie s’est arrêtée au sommet de l’Etat, parce que la coalition est en cours de rupture. Coalition qui, pourtant, avait été saluée par tous comme une première historique qui a, pour la première fois, vu le pouvoir pacifiquement transféré à l’opposition à l’issue des élections qui, bien que controversées (comme d’ailleurs toute élection en Afrique et aujourd’hui en Amérique-même), n’en ont pas moins été légitimées. Cette coalition qui, par ailleurs, avait garanti la paix en RDC, n’a pas attendu 2 ans pour commencer à se fissurer et atteindre aujourd’hui un point jugé de non retour, comme pour donner raison à ceux qui l’avaient qualifiée d’alliance contre nature.

Commençons par reconnaitre que toute alliance, toute organisation, toute association, tous regroupements humains ont toujours été contre nature pour avoir été institués par les hommes pour leur survie commune. Afin de ne pas s’entretuer comme des idiots sans intelligence, les hommes négocient intelligemment pour un vivre commun contraint mais paisible. Ils se fixent des règles communes à respecter par tous, règles qu’ils peuvent modifier en tout temps selon les conditions évolutives des évènements en constant changement.
Cependant, pour le cas de cette énième crise congolaise, le démon de la division semble hanter toute l’élite congolaise, politique et intellectuelle, qui tourne délibérément le dos à la sagesse salvatrice d’une négociation intelligente, franche et sincère pour s’inscrire, les uns contre les autres, dans une logique de guerre qui, en finale, pourrait déboucher sur la consumation de cette fragile nation congolaise.

Etat des lieux d’une crise

Alors que le mandat présidentiel actuel de 5 ans n’en est qu’à sa deuxième année, tous les esprits semblent rivés sur les échéances prochaines de 2023. Autour des querelles en apparence byzantines sur des questions causées par l’inflation du juridisme et des institutions juridictionnelles, les uns et les autres s’empoignent et exacerbent leurs radicalismes à coup de citations des mêmes articles de la même Constitution, mais diversement interprétés, selon des intérêts qui ont peu à avoir avec les défis qui gangrènent la nation congolaise dont la survie reste dangereusement compromise.

Les partenaires au sein de la coalition recourent abusivement au populisme pour se diaboliser mutuellement, en faisant porter la charge de la débâcle nationale les uns sur autres. Le juridisme et le théologisme aidant, chaque camp est alimenté par des souffleurs d’inspirations douteuses, créant ainsi une psychose dure au sein de la population médusée et jetée dans le désarroi. Tout laisse prédire une guerre ou des guerres civiles qui sonneraient à jamais les glas d’une nation congolaise sur qui trône une élite politique et intellectuelle que le peuple congolais ne s’empêche de considérer comme inconsciente et irresponsable.

Les alliances se font et se défont sur base des intérêts égoïstes des acteurs politiques accrocs à des transhumances opportunistes et qui n’arrivent toujours pas à prendre conscience des menaces internes et externes qui planent sur cette république des inconscients (Mutinga). Ces courses effrénées à la formation ou au maintien des majorités factices sur fond de manipulations et de corruption font le lit des séparatismes sur des bases multiformes : tribalo-ethniques (dans un pays multiethniques), mystico-religieuses (puisque les religions et les gourous se noient dans les marécages politiciens), particratiques (avec des centaines des partis sans base, ni vision, ni idéologie), populistes (tous parlent au nom du peuple qui, apparemment, ne préoccupe aucun des camps en présence), socioéconomiques (les inégalités sociales se creusent davantage), régionalistes (les provinces sont inégalement gouvernées et sont minées par de nombreux conflits inter et intra communautaires), culturelles (les inégalités sont criantes entre villes et campagnes, entre villes congolaises, entre quartiers au sein des villes…), etc.

Autant d’éléments encore latents, mais générateurs de troubles futurs qu’il sera difficile de juguler en cas de survenue !

Éventuelles conséquences des extrémismes en vogue

Les attitudes radicalisées, arrogantes et va-t-en-guerres qui alimentent les polémiques au sein de la classe politique coalisée au pouvoir n’augurent rien de bon pour ce pays affaibli, fragilisé, menacé, dominé (même par des minuscules voisins) et sous-administré par une élite politique et intellectuelle qualifiée de médiocre et d’incompétente par l’opinion publique congolaise.

Essentiellement, on peut craindre le spectre d’une implosion interne qui mènerait à une balkanisation projetée par l’Occident sans son implication visible. La voie de la confrontation périlleuse pourrait générer, à coup sûr, de nombreux périls que le faible leadership et l’absence d’une armée dissuasive et offensive ne pourront conjurer.

En effet, outre d’inévitables confrontations ethno-tribales durables (inter et intra-ethniques), on peut craindre les risques de prolifération des groupes armés et autres milices tribales, de séparatismes à caractère sécessionniste, des guerres de religions, des croisades et autres confrontations inter et intra-confessionnelles, des explosions de contestations urbaines violentes entre militants des partis, des manifestations des classes défavorisées… sans exclure le risque d’un retour à la case zéro par une réplique congolaise du scénario malien. Souvenons-nous de la similitude de situation quand, en 1965, l’armée décide de prendre le pouvoir en vue de neutraliser les politicailleurs dont les turpitudes (similaires aux actuelles) avaient plongé le pays dans le chaos.
Ne perdons pas de vue que l’Occident, friand des crises de ce genre, reste aux aguets et se tient prêt à y déployer forces onusiennes, ONGs humanitaristes, aides alimentaires, urgences sanitaires, agences de défense des droits humains, marchands d’armes, trafiquants de matières précieuses, stratèges onusiens et autres pour perpétuer des crises entretenues, etc.

Voilà ce qui nous attend probablement à la suite de l’exacerbation de la haine et de la méfiance des uns contre des autres, du non dépassement des orgueils des uns et des autres, du refus de dialoguer entre leaders politiques des factions importantes, eux-mêmes en apparence pris en otages par des collaborateurs extrémistes, irresponsables parce non mandatés par la Nation, honteusement fiers d’être qualifiés de faucons. Or, le temps du tarzanisme politique semble révolu !

Tout semble indiquer que c’est la situation de 1960 qui se reproduit presqu’à l’identique 60 ans après. Si à l’époque, le pays avait pu échapper à la disparition, c’est parce que la communauté des pays occidentaux dominants ne s’accordaient pas sur les termes d’une éventuelle balkanisation du pays. Ce qui n’est plus le cas de nos jours, comme ne cessent de le répéter Kalele-ka-Bila, Kä Mana, Freddy Mulumba et autres intellectuels dans leurs nombreuses communications.

Que faire ?

Face au danger d’implosion encouru par le pays en cas de persistance de la crise, il faut en appeler à la conscience des leaders concernés afin qu’ils prennent la mesure des responsabilités historiques qui sont les leurs en cas de dérapage.

Pour ce faire, l’intérêt de la nation doit primer sur leurs egos respectifs, ce qui implique pour chacun un dépassement de soi, de l’humilité pour que de simples sauts d’humeur radicalisés n’emmènent à la catastrophe de toute une nation.

La voie diplomatique est certes utile, à condition de s’assurer de la bonne foi des médiateurs éventuels. Les pays occidentaux n’offrent aucune garantie en la matière, eux qui se délectent généralement des troubles occasionnés dans les pays tiers. Les cas des pays aujourd’hui déchirés comme la Lybie, l’Afghanistan, l’Irak, la Syrie, le Nigéria, les pays du Sahel et autres en constituent des exemples illustratifs.

Les médiateurs africains ne sont pas non plus tout à fait rassurants dans la mesure où il y en a qui sont envoyés par l’Occident pour réaliser ses agendas peu favorables à la cause de la paix et de la prospérité des nations africaines. Le cas de l’ancien Président nigérian Obasandjo l’a démontré. Envoyé par l’ONU pour réconcilier le CNDP au pouvoir de Kinshasa, l’envoyé spécial s’était mis à convaincre les rebelles de ne pas accepter de céder à l’ouverture de Kinshasa en échange de l’organisation d’un référendum à la soudanaise en vue de créer leur propre pays autonome, qui verrait son développement massivement financé par l’Occident ! On connait le sort du Sud Soudan postindépendance, qui a sombré dans une guerre civile meurtrière, dans l’indifférence totale de la communauté des pays puissants, intéressés pourtant seulement par son pétrole !

La seule voie susceptible de sauver la situation reste la négociation sincère en interne, entre Congolais, seuls acteurs historiques responsables de la destinée nationale. Qui peut éluder les effets indésirables d’un pugilat d’en haut sur la vie déjà misérable d’en bas si ce n’est les acteurs concernés eux-mêmes ?
A mon humble avis, il faut que les leaders concernés se remettent sur la table des négociations pour discuter des points de divergences. Cette coalition a sauvé le pays et on ne peut le défaire sans s’assurer qu’on n’est pas entrain de faire un saut vers un inconnu prédictible. Il faut absolument une prise de conscience de leurs responsabilités hitoriques face aux conséquences imprévisibles et incalculables en cas d’éventuelles confrontations.
Il faut, en pareil cas, que les leaders impliqués s’inspirent de la sagesse locale en s’entourant des collaborateurs sages, réfléchis et pacificateurs afin d’éviter les effets irrémédiables d’actes irresponsables générés par des extrémismes qui, comme tous les extrémismes, sont le plus souvent irréfléchis… Le pire dans notre société, c’est que les extrémistes radicalisés, on les rencontre même chez les religieux, pourtant sensés être des modérateurs des esprits sans esprit saint.

Voilà où les intelligences locales doivent agir pour faire jaillir les lumières à partir des chocs de confrontations intellectuelles, au lieu de s’activer à attiser les feux pour faire sombrer la Nation dans des obscurantismes belliqueux aux conséquences inconnues.
Un dernier élément me semble capital. A voir au fond, toutes nos crises sont générées par des différents portant sur des règles de droit relatives aux prérogatives des personnalités animatrices des institutions publiques. Tout tourne donc autour des noms, des appétits des uns et des autres pour l’occupation des postes stratégiques de gestion qui assurent de meilleures opportunités de prédation et de sous-développement. Rarement ou jamais, les débats n’ont porté sur des questions essentielles ayant trait au développement économique et humain de la Nation.

Si, je l’imagine, les débats portaient sur nos infrastructures, routes, hôpitaux, aéroports, ports, écoles, universités, économies, institutions de développement, banques, agriculture, pêche, eau, électricité, culture… je suis presque convaincu que tant de divergences radicalisées n’auraient pas surgi. Celles-ci sont amplifiées du fait qu’elles portent sur des désirs humains égoïstes, insondables, incommensurables, ingérables.. bref, difficilement objectivables. Or, la vie en communauté requiert justement la régulation des ambitions égoïstes basées sur le bon vouloir de chacun pour que prévale le bien commun, plus grand commun dénominateur de l’unification. Il importe donc de changer de paradigme en la matière.

Libres à nous, (pseudo) élites politiques et intellectuelles, de sauver ou de tuer cette Nation, héritage de Kimpa-Vita, Kimbangu, Kasavubu, Lumumba, Mobutu, LD Kabila et Etienne Tshisekedi.

Emile BONGELI Yeikelo ya Ato

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