« Tu n’auras droit qu’à l’ombre des médailles des héros de l’ombre, tu feras un métier exaltant, car tu seras à la pointe de la connaissance, de l’actualité, mais frustrant, car tu ne pourras pas en parler » (paroles d’instructeur, il y a longtemps, très longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine).
REPORTAGE EXCLUSIF
Pour la première fois de leur histoire, les services secrets français ont ouvert en exclusivité leurs portes au Figaro Magazine pour une immersion exceptionnelle, en France mais aussi sur le terrain à l’étranger. À la veille du 14 Juillet, les hommes et les femmes de l’ombre, qui ne défileront pas sur les Champs-Elysées, lèvent un coin du voile sur leurs activités clandestines.
« Face à la problématique du big data, nous dénichons l’information pertinente dans un flot de données en langues plus ou moins exotiques via le “multi-int” (intelligence), qui permet de capter des images, des messages et toutes les données possibles sur une même thématique », confie Patrick Pailloux, directeur technique de la DGSE, qui en profite pour rejeter en bloc tout soupçon d’espionnite généralisée. « La légende selon laquelle nous écoutons tout le monde, à la manière d’une NSA à la française, est aussi ridicule qu’impensable tant nos moyens sont sans rapport avec ceux des Américains, s’insurge cet ancien directeur de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), X-Mines de formation. Ensuite, rappelons que nos cibles sont par définition à l’étranger et que nos règles déontologiques sont telles que les garde-fous s’imposent d’eux-mêmes. »
« Franchir la ligne jaune est impossible, car tout ce qui est collecté fait l’objet d’un process validé, renchérit François, ingénieur en électronique. Chaque recherche est tracée, justifiée et authentifiée par l’agent qui laisse un numéro de matricule. La Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) en vérifie le cadre légal: entre 10 et 15% de nos ressources d’ingénierie sont consacrées à ces contrôles. C’est le prix de la démocratie ».
« Dans mon service, les gens ne font pas n’importe quoi, martèle Bernard Bajolet, diplomate de guerre nommé à la tête de la DGSE par François Hollande, dont il est proche. Face aux nouveaux défis de la “cyberguerre”, la montée en puissance de la direction technique était indispensable. Amorcée depuis 2001, elle est comparable à la décision du général de Gaulle de doter le pays de l’arme stratégique car elle garantit notre indépendance d’évaluation et des décisions politiques qui en découlent. »
La DGSE produit quelque 6000 notes par an. Outre 2350 « notes de renseignements » de deux ou trois pages liées à des événements très ciblés, de couleur jaune et estampillées « confidentiel défense », la Boîte a produit l’année dernière 457 « notes d’évaluation » de cinq pages environ, permettant un point de situation plus poussé, 222 « notes profils » passant au crible le parcours, la psychologie, les addictions, la situation bancaire de dissidents étrangers, de terroristes ou de chefs de services de renseignement adverses. Enfin, la DGSE établit tout au long de l’année des « notes dossiers » épaisses de 25 pages, pour définir des stratégies de riposte face aux circuits de la prolifération nucléaire ou encore à la théorie maison des « trois cercles d’Al-Qaïda ». Relue au laser, enrichie et filtrée par les analystes, les chefs d’équipes et autres stratèges de la direction du renseignement, cette passionnante prose estampillée par la DGSE est réservée à un cercle ultra fermé de 131 « lecteurs » institutionnels issus de la présidence de la République, de Matignon, des ministères de la Défense, des Affaires étrangères ou encore de l’Intérieur. « En obtenant des informations cachées, originales et à forte valeur ajoutée qui décodent le monde, le Service est un précieux outil de réduction des incertitudes, car il évite à nos dirigeants d’être exposés à des surprises stratégiques, assure Bernard Bajolet. Notre force est d’investir, sur le temps long, des problématiques qui ne sont pas encore d’actualité, afin d’en anticiper des conséquences sécuritaires pour la France ».
Le savoir-faire de la Boîte permet aussi de guider les cellules de crise où, à proximité du directeur général, les agents les plus pointus phosphorent dans des salles de verre jusqu’à obtenir des libérations d’otages. Tous les moyens prioritaires leur sont accordés. Des cartes et des photos de barbus couvrent les murs. Un castor empaillé, symbole de ténacité, « A chaque point de blocage, nous inventons sans cesse un nouvel angle de travail, car nous avons ordre de mettre l’imagination au pouvoir», confie Erwann, militaire de 44ans spécialiste de l’Afrique.
Au premier étage du Centre de situation (CS), une dizaine de volontaires expérimentés gardent le lien avec les postes à l’étranger. En cas d’alarme, une corne de brume se déclenche, comme ce fut le cas pour la crise en Ukraine, l’affaire des otages de Boko Haram ou encore le coup d’Etat à Bangkok. Sur une carte animée, un voyant rouge peut s’allumer à tout instant, quand un des 200 officiers de renseignement géolocalisés à travers le monde déclenche sa balise de détresse.
Par Christophe Cornevin